Educación pública sobre plantas psicoactivas, ahora en portugués y español.
Educação pública sobre plantas psicoativas agora em português e espanhol.
19, 20, 21 novembre 2015
« Les concepts d’hallucination et d’état modifié de conscience en question »
Organisé par Guillaume Dumas & Martin Fortier
(guillaume.dumas@pasteur.fr ; martin.fortier@ens.fr)
Détails pratiques :
*Pensez à vous inscrire (gratuitement) sur eventbrite : http://artemoc2015.eventbrite.fr
*Si vous souhaitez assister aux tables rondes à l’Institut Pasteur, il est impératif de vous munir d’une pièce d’identité ainsi que de vous présenter au moins 15 minutes avant le début des sessions.
ARGUMENT
Le concept d’hallucination et celui d’état modifié de conscience sont utilisés à travers de nombreuses disciplines afin de désigner un ensemble d’expériences subjectives, de processus mentaux et de comportements auxquels se trouvent confrontés psychologues, psychiatres, neuroscientifiques, anthropologues ou encore philosophes. De nombreuses voix se sont toutefois élevées pour mettre en question la putative unité de ces concepts et l’intérêt heuristique d’y recourir. Ce colloque interdisciplinaire se propose de faire le point sur ces deux concepts et de réfléchir à leur avenir en envisageant différentes manière de les repenser, de les amender ou de les ramifier. Ce faisant, il s’agira aussi de s’interroger sur la meilleure méthodologie à adopter dans l’étude de ces concepts et sur les potentielles synergies qui existent entre théorisation, expérimentation et application thérapeutique.
I. Les hallucinations.
(Jeudi 19 novembre, matin ; samedi 21 novembre, toute la journée).
Le concept classique d’hallucination s’est élaboré à partir de la tradition représentationnaliste cartésienne et de sa préoccupation pour la menace épistémologique que faisait selon elle peser la possible existence de représentations perceptives fausses possédant l’apparence de représentations perceptives vraies (e.g., Smith 2002). Parallèlement les psychologues et psychiatres ont traditionnellement défini l’hallucination comme représentation perceptive d’un objet en l’absence même de tout objet (Esquirol 1838 ; Falret 1864 ; Ey, 1973). Ces deux définitions partagent un même présupposé : celui que le bon cas (le cas de perception véridique) et le mauvais cas (le cas d’hallucination) se ressembleraient de très près. Les philosophes parlent ainsi d’« indiscriminabilité » entre expérience véridique et expérience hallucinatoire tandis que les psychiatres parlent d’un même « sens de réalité » qui marquerait l’expérience véridique et l’expérience hallucinatoire correspondante.
L’idée selon laquelle la (quasi-)identité entre la perception véridique et l’hallucination serait essentielle dans la définition de l’hallucination a été progressivement mise en question. Chez les philosophes, les partisans du disjonctivisme ont contesté l’existence d’un facteur commun entre perception véridique et hallucination, tout en conservant néanmoins le concept d’indiscriminabilité (M.G.F Martin 2002, 2004 ; McDowell 1994 ; Dokic & J.-R. Martin 2012). D’autres ont, plus radicalement encore, contesté l’existence même d’une indiscriminabilité entre perception et hallucination (Austin 1962 ; Putnam 1999 ; González 2010) ainsi que l’idée selon laquelle l’expérience perceptive serait définie par un contenu intentionnel « parlant » du monde et possédant des conditions de vérité (Austin 1962 ; Travis 2013 ; Benoist 2013). De même, en psychiatrie, plusieurs auteurs ont, dès le début du XXe siècle, questionné l’existence d’une même impression de réalité qui serait partagée entre la perception quotidienne du monde et les épisodes hallucinatoires (Jaspers 1913 ; Merleau-Ponty 1945). Cette critique est aujourd’hui reprise et approfondie par certains (Sass 1994 ; Ratcliffe 2013).
Les données documentant la nature des hallucinations sont aujourd’hui d’une grande diversité : phénoménologiques (Masters & Houston 1966 ; Shanon 2002), anthropologiques (Furst 1976 ; Luhrmann 2011), transculturelles (Luhrmann et al. 2015 ; Larøi et al. 2014), psychologiques (Siegel & West (eds.) 1975 ; Aleman & Larøi 2008), neuropsychologiques (Jardri et al. (eds.) 2013 ; Collerton et al. (eds.) 2015), psychopharmacologiques (Hobson 2001 ; Corlett, Frith & Fletcher 2009), neurocomputationnelles (Bressloff et al. 2002 ; Froese et al. 2013), etc. Le colloque visera moins à présenter ces données empiriques qu’à réfléchir, à partir d’elles et à partir d’autres, à la théorisation que l’on en peut faire, et à la position théorique générale qu’il convient d’adopter à propos des hallucinations.
II. Les états modifiés de conscience.
(Jeudi 19 novembre, après-midi ; vendredi 20 novembre, toute la journée).
Le concept d’état modifié de conscience (EMC) fut développé dans les années 1960 (Ludwig 1966; Tart 1969). Il s’est rapidement diffusé dans les milieux de la contre-culture, mais également, de manière plus formelle, au sein de la psychologie (notamment sous sa variante transpersonnelle), de l’anthropologie et des neurosciences. De nombreuses faiblesses du concept ont été dénoncées au cours des décennies, et aujourd’hui, aux yeux de certains auteurs, les EMC ne sont guère plus qu’une « notion pseudo-scientifique » (Kaech 2010) et « un pseudo-concept cumulant les défauts d’une compréhension nulle et d’une extension indéterminée » (Bonhomme 2001). A notamment été allégué contre le concept d’EMC son hétérogénéité (il couvre des phénomènes très variés), son naturalisme naïf aveugle aux variations culturelles et sa dépendance vis-à-vis de comptes rendus subjectifs peu fiables.
Toutefois, ces deux dernières décennies ont vu le développement de nouvelles théories des EMC qui proposent une vaste révision du concept classique et qui échappent ainsi à bon nombre des critiques qui lui furent opposées par le passé. Reprenant et améliorant le travail pionnier de Dittrich (1994 ; 1998), grâce notamment à de nouvelles techniques de traitement statistique, Studerus (2013) a ainsi développé une nouvelle grille de classification des EMC. Cette taxonomie a permis de mettre en évidence l’existence d’un noyau d’expérience partagé par toutes les expériences classiquement définies comme EMC. Vollenweider et son équipe ont par ailleurs mis au jour les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent les différents paramètres constitutifs de leur grille de mesure des EMC (e.g., Vollenweider & Kometer 2010).
Partant de sa connaissance de la phénoménologie et de la neurobiologie des rêves, et étendant ensuite son analyse à d’autres types d’expériences, Hobson (2001) a de son côté proposé un modèle des EMC reposant sur trois dimensions fondamentales : l’activation cognitive (la vitesse de traitement des informations par le cerveau), l’origine de l’information (majoritairement extéroceptive ou majoritairement intéroceptive) et la modulation de l’activité cognitive (notamment à l’aide de la mémorisation et des contraintes top-down). Ce modèle à trois dimensions permet ainsi de spécifier les ressemblances et les dissemblances entre les différentes expériences habituellement catégorisées comme EMC.
Un dernier exemple du renouveau des modèles des EMC est celui en cours de développement par Carhart-Harris (Carhart-Harris et al. 2014). Ce modèle s’inscrit clairement dans le paradigme du cerveau bayésien (Friston 2010 ; Hohwy 2013). Fortement inspiré par l’étude des expériences psychédéliques, il propose de définir un spectre de la conscience sur lequel s’étalent d’un côté des expériences fortement entropiques (où dominent la flexibilité cognitive et la révision rapide des priors) et d’un autre côté des expériences très faiblement entropiques (où dominent la raideur cognitive et l’imposition rigide des priors).
Si ces récentes modélisations ont beaucoup fait pour améliorer la rigueur et la précision avec lesquelles les EMC sont définies, beaucoup de questions théoriques et méthodologiques demeurent posées. Le colloque se propose justement de faire le point sur les récentes avancées réalisées et de dresser un panorama des voies à explorer dans le futur. Une question définitionnelle très générale est celle de savoir si les EMC sont plus pertinemment définis comme une altération de la conscience d’accès, de la conscience phénoménale ou des deux à la fois (cf. Block 1995). Certains ont explicitement soutenu que les EMC étaient d’abord une affaire de processus informationnels et représentationnels (Revonsuo et al. 2009). De ce point de vue, il serait plus pertinent de parler de modification de la cognition que de modification de la conscience. Mais d’autres, au contraire, ont souligné que la plupart des modèles neurocomputationnels des EMC s’en tenaient à l’étude des modifications de la conscience d’accès et que tout restait donc à faire en matière de conscience phénoménale (Rock & Krippner 2007). L’intérêt récent des neurosciences de la conscience pour les qualia (Balduzzi & Tononi 2009) ou encore la proposition de jonction (Ratcliffe 2013) entre les modèles neurobiologiques de la schizophrénie (Fletcher & Frith 2009) et la tradition d’étude phénoménologique de la schizophrénie (Jaspers 1913) laisse augurer du meilleur sur le versant phénoménal des modifications de la conscience. Et ce d’autant plus que, cette dernière décennie, de grands progrès ont été faits dans l’élaboration de techniques introspectives permettant de restituer de manière fiable toute la richesse des expériences vécues (Lutz & Thompson 2003 ; Hurlburt & Heavey 2006 ; Petitmengin et al. 2013). Une autre question qui reste largement ouverte est celle de la construction et de la variation des expériences classifiées comme EMC à travers les cultures (Laughlin, McManus & d’Aquili 1990 ; Laughlin 2011). De manière plus générale encore, l’enjeu de redéfinition des EMC recoupe des problématiques très concrètes liées aux applications thérapeutiques rendues possibles par la recherche dans ce domaine (Laureys 2015 ; Le Van Quyen 2015).
Programa completo aquí.